Ben l'Oncle Soul - © Baptiste Bourgouin
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Magenta à Musilac : “Vu le niveau de folie du projet à l’époque, on ne mesurait que partiellement les choses”

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Sombre Clair

Nous nous souvenons de leur passage sur la scène Montagne de Musilac, il y a presque une décennie. Avec leur nouveau projet, le collectif Magenta est de retour sur l’esplanade du Lac d’Aix les Bains. Magenta, c’est un collectif de cinq artistes sur scène, qui comprend aussi les techniciens et un vidéaste. Magenta, c’est surtout une bande d’amis passionnés, en recherche d’une musique qui leur correspond toujours plus. Nous avons eu la chance de rencontrer deux des membres du collectif qui se livrent sur ce nouveau projet.

Vous êtes déjà venu à Musilac avec votre ancien groupe. Quels souvenirs avez-vous gardé de cette date sur la scène montagne ?

C’est des souvenirs incroyables. Le cadre est super agréable. Il y a des festivals qui se ressemblent et il y a ceux qui sortent un peu du lot. On en a un souvenir assez marquant et je ne sais pas si on s’est rendu compte à quel point c’était fou. Maintenant qu’on doit tout reconstruire avec un projet qui prend du temps, on remarque que les choses n’ont pas la même envergure. On voit la démesure du truc de l’époque.

Avec Fauve, vous avez fait quinze Zéniths, 22 Bataclans, vous aviez vendu votre album à 800 000 exemplaires. C’est normal qu’un moment donné, le cœur s’habitue.

Avec Fauve, tout est allé très vite. On a commencé dans des bars à Paris et rapidement nous nous sommes retrouvés dans les Zéniths. Je ne sais pas si on avait passé toutes les étapes, mais c’était impressionnant. On ne s’en rendait pas compte, mais on a vu les choses sans avoir le temps de nous habituer. Vu le niveau de folie qu’il y avait autour du projet à l’époque, on ne mesurait que partiellement les choses.

Que ce soit avec Fauve ou avec Magenta, vous avez toujours cultivé l’anonymat. D’où vient ce besoin ? 

On a toujours été anonymes, avant même que le premier titre de Fauve soit en ligne. Au début, pour des raisons purement intimes par rapport à nous mêmes. On trouvait ça plus sain et plus élégant. La tournure des événements n’a fait que confirmer la validité de ce choix qui nous a beaucoup préservés. C’est pour ça qu’on maintient cet anonymat avec Magenta, presque plus encore, même si c’est plus difficile. C’est un héritage de Fauve.

Qu’est-ce qui s’est passé à la fin de Fauve ?

Fauve était une aventure hallucinante qui a changé nos vies et qui nous marquera pour toujours. À la fin, nous avions besoin de nous reposer. C’était très intense, même si c’était de la bonne fatigue. Magenta était une sorte de pause récréative qui est devenue un projet à part entière que l’on n’a jamais voulu arrêter. On a découvert tellement de choses, ensemble, entre amis, notamment la musique électronique qu’on ne connaissait pas. On a découvert un truc qui nous a congelés, qui nous obsède, qui nous fascine, qui nous fait du bien. Ce projet a dû répondre à un besoin à un moment qui était la boucle, sans texte, sans paroles, avec quelque chose d’hypnotique. La musique électronique n’est pas notre monde à la base.

C’est ce qui a poussé également le changement de nom de groupe ?

Il nous fallait un autre nom pour éviter de s’autocensurer ou de revenir à un truc qui ressemblait trop à Fauve. On aurait pu garder notre nom et faire de la musique électronique avec, mais à partir du moment où l’on change, c’est toute la démarche qui change. Notre nom vient du boulevard Magenta et de la bataille de Magenta. C’est un quartier un peu dur de Paris. C’est là où a commencé le projet Fauve, dans la chambre de l’un d’entre nous. Tout le processus de création de Magenta est radicalement différent. Tout commence par la musique alors qu’avant on commençait par les textes. On ne joue plus des mêmes instruments. C’était un autre langage, mais qui répond au même truc, qui est de faire du bien au corps et à l’âme.

Le texte était très important dans Fauve, avec Magenta, vous laissez plus de terrain à la musique qu’au texte.

Avec Magenta, le texte sert comme un instrument, il doit s’imbriquer le mieux possible. On a beaucoup travaillé là-dessus. Par contre, notre méthode d’écriture n’a pas changé. On a grandi, le monde a changé, mais on a toujours besoin de dire des choses qui ne sont pas toujours très amusantes. Simplement, vu que le texte est au service de la musique, la plastique change. C’est presque plus dur que dans Fauve car le texte a moins de place. L’important avec Fauve, c’était de dire tout ce qu’on avait besoin de dire. Maintenant, c’est plus concis.

Musilac 2022 – Scène Korner – Sébastien Martinez
Votre processus de création évolue t-il avec le temps ?

C’est un processus qui est long. Nous prenons tellement de temps à composer les titres, que lorsqu’ils sortent on aimerait encore changer certaines choses. Nous nous recherchons constamment, et nous avons l’impression de nous rapprocher progressivement de ce que nous voulons. On est en train de bosser en ce moment pour le deuxième album, on trouve ça hyper excitant car on a l’impression qu’on va encore vers un truc qui est peut être un peu plus maîtrisé.

Vous parlez beaucoup de musique hypnotique, presque spirituelle.

Je crois qu’on ne se refait pas et tant mieux. Il y a sûrement une raison, une vérité scientifique quelque part là dedans. Les psychiatres disent que dans le geste créatif, il n’y a pas de déterminisme, mais le besoin de création peut dater de l’enfance et si tu l’as, tu l’as pour toujours. En ce qui concerne nos projets et nos personnalités, sans rentrer trop dans l’intimité, ça correspond à un truc presque Freudien pour pallier à la perte de choses dans le sens psychologique du terme, tout en évitant de mettre en lumière un sujet qui viendrait de l’enfance, un traumatisme ou aux aléas de la vie. C’est un truc de défense, un mécanisme de survie.

Vous accordez également une importance à la couleur sur vos artworks. Pouvez-vous en parler davantage ?

On est très attaché aux couleurs saturées, aux couleurs vives comme le turquoise, le fluo, le orange, le rose. C’est un truc qui stimule ton cerveau, qui te fait du bien. Je crois que c’est en rapport avec le goût au toucher et on est très sensibles à ça.

Vous avez sorti l’album Monogram, avec un titre du même nom. Pourquoi avoir choisi le même nom pour les deux ?

C’est le dernier titre qu’on a écrit sur le premier album. Il synthétise toutes ces années, comme si nous étions enfermés dans les limbes à faire des boucles toute la journée, toute la nuit, sans arriver vraiment à accoucher du truc. C’était très dur et à un moment, ça a fait du bien de se rappeler de cette histoire dans un texte d’un morceau. Ce morceau représente le lien fraternel, le fait d’avoir de ne pas avoir envie de lâcher. Les morceaux qu’on fait parlent beaucoup d’eux mêmes, de Magenta, comme de la thérapie déguisée. Ce morceau nous importe par son propos moins que dans sa forme. C’est un des trucs les plus pop, folk du moins.

Il y avait un clin de joie un peu déguisé malgré nous à Fauve aussi. Le monogramme, c’est nous. Quelle que soit la forme que prend ce monogramme, qu’il soit visible ou pas d’ailleurs. C’est comme si on avait tous un blason tatoué quelque part, qu’on voit ou pas, qu’il ait une forme ou non. C’est un des morceaux les plus importants dans son propos à nos yeux. Et paradoxalement, c’est un des morceaux les plus éloignés de ce qu’on fait en général.

Le monogramme, c’est donc un peu votre identité ?

On aurait pu nommer l’album autrement, mais au bout d’un moment, il faut se lancer. Il faut s’approprier un petit peu son propre droit à l’erreur. On a oublié de le faire pendant longtemps, on était bloqué et c’est revenu petit à petit. Aujourd’hui, on essaie de le cultiver vraiment le plus possible. On a l’impression d’être en phase entre nous, avec nous-mêmes et avec le reste du monde, en tout cas dans la partie artistique de nos vies. On embrasse le paradoxe, on embrasse la perfection, on embrasse la mesquinerie, parfois le pathétique. Plus tu les embrasses, plus tu te rends compte que ce n’est pas très grave, que ça laisse la place libre à plein d’autres choses. Tout change quand tu fais ça.Tous les projets sont différents, regarde Stromae, les Daft Punk ou Beyoncé : le but de leur projet, c’est le grandiose, l’universel, c’est la Pop avec de grandes lettres capitales. Je ne crois pas qu’on cherche ça, on serait trop malheureux avec ça. On a besoin de pouvoir échouer ensemble pour être nous-mêmes. 

Mais c’est pas parce qu’il y a des limites, qu’il n’y a pas de liberté.

On aime bien les limites et les contraintes. Elles nous forcent à terminer les choses et à affronter la réalité du regard des gens. Être confronté à ça, c’est très sain quand tu es quelqu’un d’anxieux. C’est le petit verre d’alcool qu’il faut pour pas être bourré, mais pour que ça désinhibe et que tu passes une meilleure soirée. 

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