Pour sa première date rien qu’à lui en dehors du Royaume-Uni, Lynks pose ses valises un soir d’avril au Hasard Ludique à Paris. Malgré sa fièvre, l’artiste offre un show mémorable, plein de couleurs et d’ambiance. À la sortie d’une tournée des salles et à l’aube d’une tournée des festivals, iel a accepté de nous rencontrer et de nous présenter son projet.
Tu as sorti ton premier album en avril et viens de terminer ta tournée européenne. Comment te sens-tu ?
Je me sens bien. Je pense que je n’ai pas encore vraiment réalisé, c’est tellement surréaliste. Aucun humain ne devrait se produire devant autant de personnes autant de jours d’affilée. J’ai eu comme l’impression de me retrouver dans un jeu vidéo ou dans une émission de télé, on ne dirait pas la vie réelle. À Paris, j’étais vraiment malade, j’ai dû faire une sieste de quatre heures dans la loge juste avant le show. C’était quand même un concert très particulier, c’était ma toute première salle rien qu’à moi en dehors du Royaume-Uni. Le fait de jouer en tête d’affiche à guichets fermés, ce qui est dingue, m’a fait dire que je ne pouvais pas annuler. Il fallait que j’offre ce concert aux Parisiens. Je pense que j’aurais beaucoup regretté si j’avais annulé.
En 2022, tu jouais à la Machine du Moulin Rouge pendant le MaMA Festival.
Tu y étais ? Stalker ! (rires)
À l’époque, tu avais deux danseurs. Désormais, tu as une scène très travaillée, un troisième danseur. Comment améliores-tu pas à pas l’expérience que tu cherches à offrir ?
J’ai eu plus d’argent parce que j’ai signé un contrat d’enregistrement (rires). Pour être honnête, je pense que c’est la meilleure chose (rires). Je plaisante, mais d’un côté quand tu fais tout à la main, il y a beaucoup de limites car créer un spectacle coûte cher. Il faut payer tout le monde correctement, bien sûr, mais aussi payer les répétitions, le décor, l’éclairage… Je travaille avec Heavenly, ils ont été géniaux, nous ont soutenus et nous ont aidés à créer un spectacle vraiment incroyable. À chaque fois, je vais les voir, je leur demande si je peux avoir de l’argent pour faire tel ou tel truc, et ils me disent oui (rires). Vraiment, merci à eux, de nous avoir aidé à faire de ce spectacle une réalité. Je suis heureux que les publics aient apprécié ce spectacle, car il a coûté cher et que beaucoup de choses ont été produites.
Tu es de retour cet été avec une tournée de festivals qui comprend les Eurockéennes. Comment fais-tu pour attirer de nouveaux publics qui ne te connaissent pas forcément ?
C’est parfois difficile d’être un.e artiste queer alternatif dans ce genre d’espace. Mais clairement, s’il n’y a ne serait-ce qu’un.e seul.e homosexuel.le dans le public, iel viendra très probablement me voir. Rapidement, ça fait du monde ! Et puis, j’aime bien l’idée de savoir que dans le line-up, tu peux tomber sur cette personne avec son masque chelou en latex. Je pense que si les gens entendent ma musique au loin, ils peuvent trouver ça sympa. C’est même tout l’enjeu des festivals. Au début du show, il y a peut-être cinquante personnes, mais à la fin du set, c’est plein à craquer, tout le monde transpire, c’est chaotique. C’est ça que j’aime, je pense même que c’est ce que je préfère.
Tu vas jouer en face de la Main Stage, c’est une manière aussi de récupérer de nouveaux publics.
C’est quelque chose que j’ai remarqué dans pas mal de festivals européens et qui est assez rare dans les festivals britanniques. L’alternance entre les scènes et les artistes est vraiment intéressante, j’ai pu en faire l’expérience plusieurs fois. Les publics partent d’un concert pour aller se chercher une bière, puis ils tombent sur toi et s’arrêtent. J’ai pu captiver pas mal de foules grâce à ça.
Tu vas jouer à Glastonbury dans quelques semaines ! Tu y as déjà participé, mais cette année, l’enjeu est différent…
Cette année, c’est la première fois que j’y joue pour de vrai ! C’est une folie, c’est un peu intimidant. Tu savais qu’il y avait autant de festivaliers que d’habitants en Islande ? Les deux dernières années, j’ai seulement fait des secret shows (rires). J’ai joué sur de minuscules scènes. L’année dernière, j’ai fait mon set et j’ai pris tous les psychédéliques que j’ai pu trouver, ce que je ne pourrai probablement pas faire cette fois-ci (rires). Je dois être professionnel.le. Cette année, je suis heureux.se de dire à tout le monde que j’y joue pour de vrai ! J’ai vraiment hâte, je vais d’ailleurs y faire trois concerts que je n’ai pas encore annoncés. Je pense que tout ça va donner encore plus de sens à mon projet.
Ton show est à chaque fois une expérience. Comment penses-tu et crées-tu cette expérience pour ton public ?
La première chose que j’ai travaillée pour ce live, c’est les décors. Avec l’international, il fallait que je calcule ce que je pouvais emporter dans un avion, d’où l’idée des mains gonflables en avant de scène. S’il y avait des mains, il fallait bien un visage, et c’est là que j’ai pensé au visage géant en arrière-plan. Et puis, j’aime le rouge… Enfin, Lynks adore le rouge. Ce n’est pas forcément ma couleur préférée, mais pour Lynks… Enfin c’est très confus.
Ton concert au Hasard Ludique a commencé avec Abomination, qui est aussi le titre de ton premier album. Que signifie ce mot pour toi ?
Je pense que la plupart des personnes homosexuelles connaissent le passage du Lévitique dans la Bible qui dénonce les personnes homosexuelles (“Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable”). Je pense que la plupart des jeunes personnes queer, à un moment où à un autre, se sont demandées quelle était leur relation à la religion. Y a t-il vraiment un Dieu ? Que pense-t-il de moi ? La religion, avec ses mots, a eu un impact horrible sur énormément de personnes queer dans le monde entier, beaucoup de personnes auraient pu vivre plus longtemps. En ce sens, j’aime célébrer le fait d’être une abomination, de changer le sens de ce mot, de semer le chaos comme l’abominable homme des neiges. Ces mauvaises choses, pour certains, peuvent être considérées comme formidables. Je pense que Lynks est un personnage très polarisé. Beaucoup, et surtout sur Internet, pourraient se dire “C’est quoi ce bordel ?”, se sentir choqués, offensés. En fait, je suis heureux d’être cette abomination. C’est donc logique d’appeler mon album ainsi.
En 2021, tu as sorti un titre avec Frank Carter & the Rattlesnakes. Comment s’est passée cette collaboration ? T’a t-elle aidé.e à atteindre un nouveau public ?
Si je me souviens bien, le groupe avait besoin de quelqu’un pour un titre sur leur album à finaliser, et un partenaire du groupe aurait parlé de moi. C’est de là que tout est parti. C’est assez fou, j’ai gagné beaucoup de fans grâce à eux, mais à ce moment-là, j’étais tout petit pendant qu’eux jouaient à la Brixton Academy. J’ai évidemment accepté leur proposition. Je pense qu’entre le moment où j’ai reçu l’e-mail me disant qu’ils voulaient que j’essaie et le moment où je leur ai envoyé ma démo, il s’est écoulé deux heures (rires). C’était dingue, et vu que j’ai une relation un peu d’amour-haine avec la production et qu’elle était déjà faite à 80 %, j’ai vraiment pu m’amuser. Il y avait tellement de possibilités de paroles avec lesquelles je pouvais jouer ! J’ai vraiment adoré cette expérience, je pense d’ailleurs que Lynks serait très différent aujourd’hui si je n’avais pas fait cette chanson et si je n’étais pas parti.e en tournée avec eux. Honnêtement, les deux meilleures semaines de ma vie. C’était aussi notre première vraie tournée, je leur suis très, très reconnaissant.e de m’avoir invité.e à faire leur première partie.
C’est toi qui produis ta musique. Comment arrives-tu à relier la musicalité et les paroles ?
C’est différent à chaque fois. Je veux dire, je pense que je suis comme la plupart des paroliers, j’écris toujours de petites idées de choses et de petits couplets qui me plaisent. J’ai donc une application de notes pleine d’idées de chansons potentielles. Quand il s’agit de produire, j’essaie de créer un rythme puis je commence à dire du charabia au hasard afin de voir ce que ça pourrait donner, pour voir si je peux en faire quelque chose. J’aime parfois que la chanson soit entièrement écrite avant de la produire. Mais cela n’arrive pas très souvent, pour être honnête. C’est un peu le processus que j’ai eu sur Tennis Song. J’ai écrit toute la chanson avant de la produire. Je pensais que ce serait une vraie chanson indie rock et au final je l’ai transformée en une petite ballade de style métronomique.