Quelques heures avant l’ouverture des portes du Cabaret Vert et entre deux balances, Esprit Festivalier a pu discuter avec Christian Allex, programmateur du Cabaret Vert. Désormais Mastodonte parmi les événements français, le festival a su développer une identité propre à lui-même, que nous présente Christian. Nous avons également parlé inflation et festivals européens.
Quel est ton rôle sur le festival ?
Je m’appelle Christian Allex, directeur artistique du festival. Tout au long de l’année, j’essaie de créer une cohérence entre les différents univers que le festival peut offrir dans des lieux tels que les bords de Meuse, les entrées, les scènes et leurs abords. Mon rôle inclut la programmation des artistes que nous mettons en avant. Je suis responsable des contrats, des négociations, et de faire venir les artistes que nous souhaitons avoir à l’affiche, afin de donner au festival la couleur que nous désirons dès le départ.
Le Cabaret Vert se distingue par le nombre d’exclusivités, comme Korn cette année. Comment est-ce encore possible, compte tenu des enjeux économiques actuels ?
Ça a été un coup de chance (rires). Korn devait initialement se produire au Cabaret Vert ainsi que sur une date parisienne, mais cette dernière a finalement été annulée. Nous nous sommes donc retrouvés avec une date unique, ce dont je suis ravi. Je ne suis pas nécessairement un fervent défenseur des exclusivités absolues. Lorsque je négocie avec un groupe, bien sûr, s’il joue à 200 kilomètres d’ici un mois avant, ça me pose problème. Je pense quand même que le festival se suffit à lui-même en termes d’image et d’attractivité. Il n’est pas forcément nécessaire d’avoir une exclusivité pour attirer le public, je ne me bats pas trop sur ce point.
Le Cabaret Vert a lieu en même temps que d’autres festivals européens comme le Pukkelpop. La position géographique du festival favorise-t-elle la venue de certains artistes ?
Aujourd’hui, oui, mais il y a quinze ans, quand j’ai commencé à m’occuper de la programmation, ce n’était pas le cas. À l’époque, le festival existait, mais il n’était pas dans le repérage des agents de tournée. Charleville-Mézières et le Cabaret Vert n’étaient pas connus, contrairement à des festivals comme Pukkelpop, Reading, Leeds ou Rock en Seine. À force de négociations et de travail pour nous faire reconnaître, le festival est devenu un événement incontournable et très bien repéré par les agents. Maintenant, quand une tournée passe par Pukkelpop, les programmateurs m’appellent. Par exemple, lors de l’annulation de Queens of the Stone Age, nous avons collaboré pour explorer ensemble des solutions alternatives. Nous faisons désormais partie intégrante de l’écosystème des festivals européens pour la construction de notre programmation.
Comment parvenez-vous à équilibrer une programmation entre artistes internationaux, attirant un public venant de loin, et les enjeux de développement durable ?
Je dirais que cet équilibre est quasiment impossible à atteindre. Dès qu’un artiste vient, l’impact écologique est déjà compromis, et nous perdons en crédibilité sur nos engagements. C’est difficile, car nous sommes pris en étau entre des productions artistiques exigeantes en termes de spectacle et de scénographie, nécessitant beaucoup de matériel et de déplacements, et l’impact environnemental de ces choix. Pour caricaturer, si je proposais un concert avec trois musiciens sur scène, peu de lumière et pas d’écran, je ne suis pas certain que le public l’accepterait. Nous essayons d’être actifs et proactifs, mais nous subissons aussi ces contraintes.
Y a-t-il des artistes que tu tenais particulièrement à faire venir cette année ?
Oui, par exemple Macklemore, que j’essayais de faire venir depuis longtemps, mais il tournait rarement en août. PJ Harvey, une artiste que j’admire depuis son premier album, est aussi à l’affiche cette année. Je l’avais programmée dans d’autres festivals où j’ai travaillé, et je voulais absolument qu’elle soit présente au Cabaret Vert. Je suis également ravi de la venue de 21 Savage, un grand nom du hip-hop dont la musique me fait vibrer. Il y a plein de groupes que je citerais pas, des groupes découverte parce qu’il y en a énormément. Si je commence à énumérer tout ce qui m’intéresse, ou ce qui m’intéresse moins, on en a pas fini. Mais déjà, ceux-là, je trouve ça hyper excitant qu’on les ait.
Comment trouves-tu un équilibre entre une programmation qui te plaît personnellement en tant qu’organisateur, et qui plaît à un public éclectique partageant les valeurs de l’événement ?
Ce n’est pas évident. Programmer un festival signifie parfois mettre de côté ses goûts personnels, tout en restant fidèle à une ligne directrice définie par l’équipe de programmation. Il ne s’agit pas d’être opportuniste en choisissant des groupes qui ne nous plaisent pas simplement pour attirer du public. L’enjeu est de trouver un juste milieu : ne pas proposer une programmation trop pointue, ni trop ouverte au point de s’écarter de notre identité. Vu le public que nous attirons, j’ai l’impression que nous avons trouvé cet équilibre. Nous pourrions programmer des artistes plus populaires, mais est-ce vraiment nécessaire ? Une artiste comme Céline Dion, par exemple, pourrait tout à fait avoir sa place chez nous, mais des groupes comme Scorpions ou d’autres groupes de métal plus anciens seraient moins intéressants, car ils n’ont pas d’enjeu générationnel pour le Cabaret Vert. Les artistes que nous programmons doivent être des acteurs de la scène musicale actuelle et future.
Comment faire pour maintenir un équilibre financier dans un contexte de hausse des prix et d’inflation ?
Les augmentations de cachets ne sont pas si importantes, en particulier pour les artistes français qui attirent souvent le plus de public. Les artistes internationaux, en revanche, peuvent être coûteux, notamment lorsqu’il s’agit d’exclusivités qui motivent l’achat de billets. C’est un peu comme dans une équipe de foot : on investit sur un joueur comme Mbappé pour marquer des buts et attirer des spectateurs. Nous faisons des choix similaires. Nous sommes dans une économie de marché et nous ne sommes pas naïfs. L’inflation touche surtout les coûts de production : les scènes, le matériel, tout ce qui permet de construire le festival. Il y a eu une véritable inflation, non imputable aux prestataires, mais à la hausse générale du coût de la vie. Organiser un festival devient très difficile avec des coûts d’infrastructure en augmentation de 30 %.
Est-ce pour ces raisons que les prix des festivals évoluent ?
Les prix des festivals en France ont historiquement été bas, alors que les billets pour les concerts en salle et en aréna ont grimpé, atteignant parfois 50, 60, 80, voire 150 ou 200 €. Aujourd’hui, on peut payer entre 100 et 250 € pour voir Taylor Swift en aréna ou en stade. En comparaison, les festivals, mis à part des exceptions comme le Hellfest, coûtent entre 60 et 80 € pour un billet d’une journée. À mon avis, pour construire une économie viable et proposer des artistes attractifs, le prix d’un billet journalier de festival devrait être d’au moins 105 €. Je comprends que tout le monde ne veuille pas dépenser autant pour une journée de festival, mais consommer de la culture implique de faire des choix financiers. Les festivals en France ont débuté avec une offre de billets très accessible, mais nous devons progressivement franchir des paliers pour assurer la pérennité économique et artistique de nos événements.