Du 8 au 10 juin, le Primavera Sound ouvrait ses portes à Madrid, ou plutôt à Arganda del Rey, à environ 40 kilomètres de la capitale espagnole. Le frère jumeau du Primavera Sound de Barcelone avait lieu pour la première fois. Au retour de plusieurs jours de concerts intenses, beaucoup de questions se posent déjà quant au futur du festival dans la ville.
Une première édition madrilène
Alors que Barcelone organisait la vingtième édition du Primavera Sound une semaine auparavant, c’est à Madrid que nous nous sommes rendus pour assister au même festival. Sur le principe de Coachella (deux weekends à la suite, même programmation), le Primavera Sound proposait le même concept d’événement : trois jours à Arganda del Rey, proche de Madrid, pour le festival officiel, et plusieurs jours de concerts en plein coeur de la capitale espagnole.
Sur le papier, l’ambitieux projet a de quoi attirer. Le Primavera Sound de Madrid est très vite complet, l’organiser à Madrid est une aubaine pour tous les festivaliers sans entrées à Barcelone. Notons d’ailleurs que, bien que le tourisme international soit beaucoup plus fort à Barcelone, Madrid capte un immense tourisme, principalement d’espagnols venant de toute la péninsule. Sans surprise, le public international est plus fort, voire majoritaire au Primavera Sound de Barcelone, tandis qu’à Madrid, les espagnols sont plus nombreux.
Ainsi, plus de entre 45 et 50 000 personnes ont pu applaudir une salve d’artistes tels que Rosalía, Kendrick Lamar, Måneskin, Depeche Mode, Christine and the Queens, My Morning Jacket, Calvin Harris, pour ne citer qu’eux. Étalés sur un immense terrain pouvant accueillir jusqu’à 85.000 personnes, bien que l’événement ait limité la capacité à 50.000, nous sentons presque une proximité avec les artistes tant les terrains sont grands et le public étalé sur de grandes distances, sans pour autant qu’il ne se marche dessus.
Quel serait le problème alors ? Le festival se passe à Arganda del Rey, à plus de trente kilomètres de Madrid. La plupart des festivaliers comptent environ deux heures pour accéder au festival, certains parlent même de trois heures compte tenu des bouchons à l’entrée de l’événement. Des navettes sont proposées depuis des endroits stratégiques de Madrid et un parking est disponible sur place à dix euros la journée. Également, un service de taxi est proposé depuis le festival moyennement un prix fixe avoisinant les soixante euros la course. Le terrain pouvant être inondé, il n’y a pas de camping disponible, et il semblerait qu’il n’y ait pas réellement d’hôtels aux alentours.
Ciudad del Rock : entre pluie et sourires, annulations et espoirs.
Mettons un peu de contexte au lieu qui accueille le Primavera Sound de Madrid : la Ciudad del Rock (« Ville du Rock » en français), est une immense zone à Arganda del Rey, à plus de trente kilomètres de Madrid, créée en 2005 pour accueillir certains des plus grands événements internationaux. C’est ici notamment qu’il y a quelques années, le Rock in Rio a accueilli à partir de 2009 certains des plus grands artistes : Neil Young, Shakira, Rage Against the Machine ou Bon Jovi, pour ne citer qu’eux. À cette époque, nous sommes en pleine crise économique espagnole. Entre le prix des places, l’éloignement du lieu difficilement accessible en transports (sauf en voiture, donc sans consommer d’alcool, grande source économique d’un festival), et une affiche vite devenue trop éclectique (Pitbull dans un festival supposément rock ?), l’aventure s’arrêta trois ans plus tard. Certains articles disent même que « personne ne veut jouer à la Ciudad del Rock ».
Le pari était donc risqué pour le Primavera Sound, qui en plus de Madrid ouvrait ses portes en simultané à Porto, au Portugal. C’était sans compter sur les longs jours de pluie avant le début du festival. Résultat : à peine vingt-quatre heures avant le lancement officiel, un communiqué d’annulation de la première journée du festival circule sur les réseaux sociaux. Entre compréhension, compassion et frustration, les commentaires vont de bon train sur les réseaux. Le festival réagit en promettant que les festivaliers du jeudi pourraient accéder gratuitement le vendredi ou le samedi, ou être remboursés. Quid des pass 3 jours ? Silence radio le jeudi, premier jour du festival, jour nuageux et pluvieux par ailleurs, mais qui n’aurait pas freiné un festivalier des Eurockéennes revenant d’une tempête en 2012, ou d’un habitué de Glastonbury. Cependant, à la Ciudad del Rock, d’après plusieurs tweets, c’est l’hécatombe, bien que le festival ne communique que très peu sur la situation sur place. La Ciudad del Rock était-elle la meilleure option pour le festival ?
Blur, en bons soldats, ne baissent pas les armes et proposent un concert « gratuit pour les détenteurs de billets » à la Riviera, salle de Madrid similaire à notre Olympia de Paris. 2500 personnes accèdent au sésame via l’application AccessTicket, les plus de 30 000 personnes attendues ce jour en seront privées. Les places sont en effet distribuées en moins de quelques secondes, les autres festivaliers restant pendant de longues minutes dans une file d’attente virtuelle avant d’arriver vers un triste « sold out ». Les médias resteront pour la plupart également sur le pas de la porte. Fait notable : Halsey, selon un commentaire sur Instagram, souhait jouer à Madrid, que ce soit dans un petit ou grand lieu. Le festival aurait décliné sa proposition.
Sur les réseaux sociaux, les commentaires pleuvent
Bien qu’il soit incohérent de s’en prendre au festival concernant l’annulation de la première journée, le terrain étant inondé, les commentaires négatifs sont nombreux, que ce soit à propos de l’annulation, du peu d’information concernant un potentiel remboursement du jeudi pour les pass 3 jours, ou surtout des difficultés pour quitter Ciudad del Rock. Bien qu’usant de leurs meilleures stratégies pour sortir du festival au bon moment afin d’éviter les queues, la moyenne d’attente était de deux à trois heures. À titre d’exemple, Esprit Festivalier a quitté le festival à 5h15 dans la nuit de samedi à dimanche, à quarante-cinq minutes de la fermeture. Nous accéderons à la navette aux alentours de 7h15. Le trajet durant environ trente minutes, auxquelles il faut ajouter le chemin en métro pour arriver jusqu’à notre logement, nous serons réellement chez nous vers 8h30.
Selon les mots parfois difficiles de certains festivaliers, tout laisse à penser que la majorité du public a vécu une situation similaire. Entre l’annulation du premier jour et les difficultés d’accès au festival, les retours semblent principalement négatifs, comme si l’incroyable programmation et la très bonne production de l’événement passaient au second plan. Au final, le problème est très clairement le site de Ciudad del Rock, pas le Primavera Sound concrètement.
Un retour en 2024 ?
Il est clair que l’équipe du festival a beaucoup de défis à relever et de questions à se poser concernant l’événement. Économiquement parlant, les comptes devraient être dans le positif, les quotas du vendredi et du samedi étaient presque atteints. Très probablement que, grâce à la proposition Barcelone/Madrid, les cachets artistiques ont été négociés pour les deux villes, assurant d’intéressants accords financiers. Tout cela sans compter le nombre incalculable d’entreprises partenaires, à l’image de Pull & Bear qui disposait d’un stand de vente de vêtements, d’Amazon Music qui donnait son nom à une scène, de la banque espagnole Santander, pour ne citer que ces dernières. Le Primavera Sound est un festival extrêmement financé, en plus d’être un événement relativement cher : il fallait compter environ 330 € pour les trois jours de festival.
La grande question n’est donc pas de savoir si le Primavera Sound de Madrid était une erreur : le festival devrait sans nul doute revenir à Madrid l’an prochain. L’équipe du festival s’est même dite satisfaite de l’édition (probablement bien plus que les participants).
Très probablement, le festival connaîtra entre 2023 et 2024 une situation semblable à celle du Mad Cool, autre mastodonte du monde festivals de Madrid. Ce dernier a changé trois fois de lieu en moins de dix ans. À quelques semaines du Mad Cool 2023 d’ailleurs, le lieu n’est pas officiellement annoncé. Primavera Sound devrait connaitre un sort similaire, les infrastructures pouvant accueillir autant du monde dans ou aux alentours de Madrid ne sont pas nombreuses. Le festival va t-il donc rester à Arganda del Rey, ou se développera t-il ailleurs dans la Communauté de Madrid ?