Le 13 mai dernier, l’Accor Arena vibrait au son des psaumes métalliques de Ghost. Dans une salle comble, baignée de mysticisme et d’odes visuelles millimétrées, le groupe suédois est venu présenter ce qui s’apparente à l’une des formes les plus abouties de leur carrière. Une grand-messe spectaculaire, à la croisée du théâtre et du concert rock, portée par une scénographie ciselée, un répertoire éclectique et une intensité sonore rarement atteinte. Un moment suspendu et déconnecté, les téléphones portables y étant complètement interdits.
Formé en 2006 à Linköping, en Suède, Ghost s’est rapidement démarqué grâce à son esthétique singulière mêlant imagerie religieuse détournée et rock occulte. Mené par Tobias Forge sous les traits de ses différents « Papa Emeritus », le groupe mêle heavy metal, pop, glam et hard rock avec une aisance déroutante. De Opus Eponymous à Impera, leur discographie trace une courbe ascendante marquée par un succès public et critique croissant.
Quelques minutes avant le début du concert, place à la désintoxication électronique. Les téléphones sont placées dans des pochettes aimantées, assez encombrantes certes, mais c’est le jeu. Ce soir, pas de flash à l’iPhone, pas de souvenirs pour les réseaux sociaux. Les photos fournies par la presse et par les réseaux sociaux du groupe feront guise de souvenirs.
Un moment entre le groupe et son audience parisienne. Le concert de Ghost s’est imposé comme une expérience scénique d’exception, marquant une étape décisive dans l’évolution du groupe. Depuis la tournée « Popestar » de 2016, la formation suédoise n’a cessé de peaufiner son univers visuel et sonore, atteignant ici une forme d’aboutissement, parfaitement adaptée à l’une des plus grandes salles du pays.
Côté scénographie, notons le nombre incalculable de détails représentant cette église créée spécifiquement pour l’occasion et mettant parfaitement en scène notre hôte de la soirée : Papa Emeritus V de son nom. Ce dernier sait recevoir : « Peacefield », troisième extrait du sixième et dernier album album studio, ouvre le bal, dans une ambiance suspendue.

Côté setlist, Papa Emeritus V semble vouloir gâter tous les publics, quelle que soit leur génération. L’éclectisme est au rendez-vous et chacun des six albums du groupe voit l’une de ses chansons jouées sur scène. Les fans de la première heure pourront être heureux de ce choix, bien qu’il soit compliqué de rassembler la totalité du public autour de toutes les oeuvres.
Le rappel est l’un des titres ayant été le plus acclamé, révélant les fractures d’un public toujours plus hétérogène, conséquence directe de l’évolution stylistique de Ghost au fil des cycles de ses albums et de leurs histoires. Ainsi, dans la fosse comme dans les gradins, se côtoyaient le vieux briscard venu écouter « Ritual » pour la vingtième fois depuis 2010, et la jeune fan découverte sur TikTok il y a trois ans, n’attendant qu’une chose : « Mary on a Cross ».
Ghost rassemble, dans la digestion de ses influences, un public aussi varié que fidèle : du « métal à papa » héritier de Black Sabbath sur Opus Eponymous, aux accents glam désespérément sincères et optimistes de Skeleta. Le groupe touche toutes les générations, chacun ayant découvert ses psaumes à différents moments de leur discographie.
La part belle du show est évidemment réservée aux classiques. « Year Zero », « Cirice » ou « Mummy Dust » — les deux dernières n’ayant pas quitté la setlist depuis dix ans, et la première trônant depuis plus de douze — bénéficient d’une mise en scène particulièrement travaillée : changement de costume avec la nouvelle soutane de Papa V et pyrotechnie pour « Year Zero », interaction scénique autour du solo de guitare pour « Cirice »… Les titres issus de Skeleta (à l’exception de « Peacefields » en ouverture) n’ont malheureusement pas reçu autant d’attention, même les surprises que furent « Call Me Little Sunshine » et « Rats » ont eu droit à un traitement plus élaboré en termes de scénographie. Mention spéciale à « Call Me » et son impressionnant changement de costume.
Toutefois, malgré ces inégalités de traitement visuel, on remarque une énergie folle et une agilité nouvelle sur scène. Cela s’explique en partie par les nouveaux costumes, plus souples, qui permettent à Tobias Forge et à sa troupe d’être plus mobiles et énergiques que jamais.
Jamais un concert de Ghost n’avait sonné aussi agressif dans ses riffs, aussi eighties dans sa musicalité, ni aussi vif dans ses interprétations. Après quinze années d’existence, Ghost prouve une fois encore que l’évolution, les transformations constantes et la prise de risques peuvent mener non pas à une perte d’identité, mais à un renouveau. Et, comme toujours avec Ghost, à quelque chose d’encore plus intense à chaque nouvelle expérience.
